Dès l’arrivée des premières brises printanières, mon mari et moi adorons fureter sur le terrain. Parents, devenus grands-parents, nous planifions le renouvellement de la tradition familiale : offrir ou recevoir des repousses de fougères, de rhubarbe, de pivoines, de fleurs et d’herbes vivaces saisonnières.
Cela dit, il y a quelques années, mon tendre mari revient à la maison avec un tas de briques trouvées dans une vente de bric-à-brac. Des briques et un lot de pierres plates pour faire « il ne savait pas trop quoi pour le moment ». Les neurones créatifs se sont aussitôt activés :
– Pourquoi pas un muret autour du jardin, agrémenté d’un petit banc pour les petits de trois et cinq ans? me dit le bricoleur grisonnant.
– Moi, je rêve d’un sentier des Mystères de la Vie inspiré par la nature qui se renouvelle chaque printemps. Les pierres plates pourraient être déposées au travers de la haie de cèdres et de fougères. J’ai récupéré dans l’amas d’objets de la vente une sculpture de fillette qui lit, deux lutins, des roches décoratives et deux jolis livres plastifiés d’histoires de fées et de lutins. La cabane d’oiseaux accueille une famille d’hirondelles. Tu n’aurais qu’à installer des lumières qui s’illuminent au coucher du soleil. Qu’en dis-tu cher grand-papa?
Mon compagnon m’a répondu en souriant :
– Excellent! J’érige le muret du jardin et tu t’occupes de ton sentier des Mystères de la Vie!
Deux semaines plus tard, nous recevons nos deux petits amours pour un dodo et pour l’ouverture du sentier des Mystères de la Vie.
La petite famille arrive : dépôt des sacs à dos, enlacements, gros becs et « TATAS » vers l’auto qui roule.
Nous proposons le menu du souper : maraconi pour celui qui n’aime que les pâtes et homard pour notre seule petite-fille. Tout en léchant une crème glacée en guise de dessert, nous irons regarder le soleil s’endormir dans le fleuve.
Le rituel du dodo s’installe au retour : lavage de dents, bain moussant, pyjamas et, oups, grand-papa dépose « les petits paquets » dans le divan-lit.
Les têtes grises écoutent le rituel de l’endormissement :
– Chez nous, maman nous fait un massage avant de dormir, et elle met la radio avec une musique qui aide à rêver, dit l’aînée.
– Moi, je veux une histoire de grand-papa et une « collachion », dit le garçon.
L’histoire terminée, deux pipis, un dernier petit peu d’eau et les amours s’endorment après le traditionnel « bons rêves mes chéris, pas de puces, pas de punaises ».
En quittant la chambre, j’envoie une gerbe de bisous-bisous et j’ajoute :
– Je vais laisser notre porte ouverte et vous venez me réveiller aussitôt que vos yeux s’ouvrent.
À l’image des grands-parents, je sais que les petits invités se réveillent avec le soleil et je dors comme une chatte , les oreilles en alerte. Vers cinq heures du matin, le matelas s’agite et je sens mon nez picoter. Je fais semblant de dormir, ils chuchotent et continuent leur manège. Quelques minutes passent, je souris, je m’étire et j’ouvre les yeux un à un. Ils s’approchent de moi en rampant :
– Le soleil est levé grand-maman. On va aller dans le sentier des Mystères de la Vie, tu as promis.
Huit heures du matin, grand-papa dort, mais nous trois, on a pris notre jus d’orange, mangé des rôties sans croûte tartinées de beurre d’arachide et de confiture. Leur chocolat chaud servi avec des mini guimauves dans leurs petites tasses rouges est avalé.
C’est parti, l’aventure les attend à la première pierre du sentier. Je sors de la poche de mon tablier de grands ciseaux rouges :
– Mes petits, voici les ciseaux et le ruban rouge de l’i-n-au-gu-ra-tion.
– Y sont où les mystères grand-maman?
D’un air mystérieux, je sors une loupe cachée dans ma poche et scrute le sentier. Droite comme un pic, je parle en syllabes :
– « Sentier magique, fais-nous découvrir les beautés de la nature. »
En silence, je les tiens par la main. Il n’y a pas de clôture qui nous sépare du voisin. Je me souviens de leur papa que j’ai perdu de vue le temps d’un changement de couche du bébé sur le balcon. Deux secondes ont suffi à mon aventurier de deux ans pour s’éloigner. J’ai eu une leçon de surveillance étroite d’enfant tout-petit tout-petit ce jour-là!
Une fois dans le sentier, je prononce la consigne avec un ton d’éducatrice de CPE :
– Marchez de roche en roche en levant très hautes vos jambes. Attention aux branches. Regardez la cabane dans l’arbre… chut! Vous voyez la maman hirondelle et ses petits… chut!
Ils m’imitent en chuchotant. Un son attire leur attention :
– J’entends OUROU, OUROU, dit l’aînée.
– C’est une tourterelle qui vient chercher son déjeuner. Votre papa en avait deux dans sa chambre lorsqu’il avait votre âge.
– Le chanceux, me répondent-ils en cœur.
Parcours terminé, on sort du sentier et grand-papa nous attend avec sa tasse de café.
– Encore du « listère », dit le petit en se dandinant.
– Venez vous assoir sur le banc fait pour vous deux, les invite-t-il. Voici un plat de sucre et prenez une tige de rhubarbe. Trempez la rhubarbe dans le sucre et dégustez. C’est ma tradition du printemps à moi.
À midi les parents arrivent :
– Vous avez fait quoi les enfants?
– On a marché dans le sentier des Mystères de la Vie et on a mangé la tradition de grand-papa!
